Les femmes dans les pages faits-divers

Hôtel de police de Grenoble

Foi de faits-diversier, les femmes criminelles, les meurtrières sont rares. « En 20 ans, je n’ai pas le souvenir d’une affaire majeure. Même au niveau régional. Pourtant, c’es une presse où tous les homicides sont systématiquement traités », annonce Denis Masliah, journaliste au Dauphiné Libéré . En fouillant dans les archives du journal, on trouve moins d’une dizaine d’affaires en dix ans, toutes traitées par ses collègues. Pourtant « dans les grands médias, je pense que c’est plus ‘sexy’ d’avoir une histoire sur une meurtrière, plus ‘vendeur’ » , concède-t-il.

Femme et meurtre, mélange vendeur

Quand Vanessa Laime, sa seule consœur, tombe sur une affaire de ce genre, elle en sent tout de suite le potentiel médiatique. « Parce que ça frappe l’inconscient collectif ! Notre culture judéo-chrétienne, notre éducation, veut que la femme soit l’incarnation de la douceur, de la maternité, de la bonté, de l’abnégation…Et forcément, lorsqu’une femme tue, han ! C’est la même frayeur que quand un enfant passe à l’acte. Ca frappe parce que dans l’esprit collectif, c’est pas normal qu’une femme tue ! » Michèle Agrapart-Delmas, criminologue à Paris confirme le sentiment de la journaliste : « Il y a toujours de la part des gens une certaine indignation, un étonnement, un rejet… Ils ont des émotions par rapport à la féminité comme à la minorité ». Une raison pour laquelle les journaux font des pleines pages de ces histoires. « Tout ce qui est rare est cher ! », affirme Claire Sirrand, chroniqueuse judiciaire au Dauphiné Libéré. « Prenez une histoire comme celle des Courjault, passer à côté serait de la folie. Il y a des gens qui sont ‘bon clients’, regardez le film qui a été tiré de leur histoire ».

Mais pour elle, les lecteurs ne sont pas forcément plus passionnés par ces faits-divers parce qu’il s’agit de femmes. Leurs motivations sont plus larges. « Ils sont intéressés par les faits-divers en général, c’est vendeur. Regardez l’histoire de la belle brésilienne qui avait pris un fleuriste dans ses filets. Bien sûr que ça fascine, c’est un roman ! ». C’est le principe même de ces rubriques : ce qui sort de l’ordinaire, ce qui dérange. « Sur l’affaire du Brésil, il y a vraiment matière à faire un tabac médiatique. Il y a un côté exceptionnel de la personnalité de la mise en examen, des choses qui se sont passés à des kilomètres d’ici. Mais à l’échelle de notre région les règlements de comptes qui ont défrayé la chronique en 2007 ont été beaucoup plus médiatisés que les affaires où des femmes ont été impliquées », fait remarquer un enquêteur de la police judiciaire qui préfère rester anonyme.

Intérieur du Palais de Justice de Grenoble

Femmes et meurtre, quels meurtres ?

Les meurtres commis par des femmes, plus rares, plus inavoués, cacheraient donc de grosses histoires. Mais dans ces pages, dans ces articles, quelle est l’image attribuée à la femme criminelle ? « Chez les professionnels du faits-divers on pense quasi instinctivement au crime passionnel, comme si une femme ne pouvait tuer que par amour… Alors est-ce vraiment une expérience professionnelle ou un préjugé machiste ? Peut-être les deux », lâche Denis Masliah. Claire Sirrand, une habituée du Palais de justice, pense « presque automatiquement au ‘cadre intime’, c’est à dire le cadre de la famille ». Dans lequel se rangent, bien sûr, le crime passionnel mais aussi le meurtre de nouveaux-nés. « Il y a une résurrection de l’infanticide, ça a aussi été braqué par l’actualité. C’était pourtant une infraction dont on ne parlait absolument pas » , suppose, à raison, Michèle Marc-Girot, avocate pénale.

Autre image de la femme criminelle, celle de l’empoisonneuse. Comme si il y avait encore une différence entre les armes utilisées par les femmes et celles des hommes. Vanessa Laime se souvient parfaitement de l’histoire d’une mère qui avait tué ses enfants en glissant du poison dans leurs chocolats chauds. Et Claire Sirrand, de deux meurtres impliquant du poison sur les sept années où elle a tenu sa chronique. « Construction médiatique ! » , rétorque Michèle Agrapart-Delmas, la criminologue. Elle nie en bloc que les femmes se servent de l’empoisonnement plus que les hommes : « Ce sont des informations du XIXème siècle. C’est ce qu’on lit dans Marie Claire. Actuellement on ne trouve même plus de poison » .

« J’espère que je ne suis pas les préjugés sociaux quand j’écris » , se défend Vanessa Laime. « L’expérience m’a prouvée que, plus un crime est terrible, plus il frappe l’inconscient collectif. Plus il est traumatisant, plus il faut écrire sobre. Au début de ma carrière, j’avais un peu tendance à dire ce que je pensais, c’est une erreur journalistique énorme ! » Durant l’affaire Courjault, les journalistes se sont « lâchés » dans une « déferlante médiatique inédite concernant l’infanticide » d’après Martine Versel, maître de conférence en sciences de l’information. La découverte des meurtres et le procès ont donné lieu à une « nouvelle exaltation de la figure de la ‘femme-mère’ ». Qualifiée à la fois de « bonne mère, de « bonne épouse », puis de « monstre » responsable d’un « drame ». « Ne diabolisez pas Véronique Courjault mais n’’en faites pas non plus une icône » , a clamé un des magistrats lors du procès. Non, les médias en ont fait autrement : elle est passée pour une victime.

Voiture de police devant le commissariat

Femmes et meurtre, d’abord victimes

L’image des femmes dans les pages faits-divers et judiciaires ne fait statistiquement pas débat : c’est celle de victime. Michèle Agrapart-Delmas, rappelle qu’il n’y a que 2 500 femmes incarcérées pour toutes sortes de crimes, contre 63 000 victimes recensées. En France, une femme meurt tous les trois jours sous les coups de son conjoint. Pour les médias, le constat de l’Association des femmes journalistes (AFJ), en 2006, est sans appel : une femme sur quatorze est présentée comme une victime dans la presse pour un homme sur vingt-et-un. Spécialement dans les pages faits-divers. Même les femmes qui tuent leur partenaire sont souvent décrites comme des « victimes » qui se sont rebellées, vengées. A l’image d’une Cécile Brossard, maltraitée psychologiquement par son amant, ou d’une femme battue. En psychologie, on parle du couple « agresseur-agressé » qui dure, puis se renverse. Les voilà un brin excusées. Et Denis Masliah d’avancer son avis sans l’ombre d’un doute : « L’immense majorité des meurtres est masculine. L’homme est évidemment plus nocif que la femme pour l’humanité ».