Qui sont les criminelles ?

Cour d'Assises de Grenoble, Palais de Justice

7,7% de femmes. C’est à peine ce qu’elles représentent dans le chiffre total de la grande criminalité, les viols, les meurtres, les braquages. Autant dire rien des poussières, comparé à la masse des hommes. Et pourtant Véronique Courjault, Cécile Brossard, Florence Rey ou Monique Olivier fascinent. Dans le détail, 16% des femmes incarcérées ont commis des crimes de sang, contre à peine 7% pour les hommes, d’après un rapport du Sénat. Coupables de meurtres commis dans le cercle familial ou intime, les historiens, juristes ou journalistes leur attribuent des spécialités. Surtout parce que leurs victimes ne sont pas choisies au hasard. D’abord les enfants, ensuite les conjoints, enfin les parents. D’où des femmes coupables en majorité d’infanticides et de crimes dits « passionnelles ».

Existe-t-il un crime féminin ?

« Il n’y a pas de criminalité féminine, on est dans une construction qui date du XIXème siècle, défend Martine Kaluszynski, chercheuse au CNRS. Il y avait des catégories pour s’occuper du criminel, il était fou, enfant, anarchiste, femme. Par principe, la spécificité d’un crime lié à la femme me gêne ». Mais quand on parle de femmes criminelles à Michèle Agrapart-Delmas, criminologue, elle pense directement aux infanticides, « il n’y a pas d’autres crimes typiques des femmes ». Elles commettent aussi des crimes d’amour ou passionnels : elles se débarrassent d’un homme, mari ou amant infidèle, d’une rivale, un vieillard encombrant ou d’un enfant, concède-t-elle dans son ouvrage.

Intérieur de la Cour d'Assises de Grenoble

En France, les femmes jugées pour meurtre se chiffrent à quelques dizaines par an. Elles utilisent les médicaments, et le faux accident, le rasoir, le couteau, la hache, le pistolet. Le crime féminin a toujours existé mais le mode opératoire et sa fréquence ont évolué. Des simples braqueuses deviennent des meurtrières dans l’action. Florence Rey, prise dans la fusillade place de la Nation en 1994 a choqué les esprits parce qu’elle était la première. « Le vrai meurtre crapuleux reste relativement rare pour les femmes », explique Vanessa Laime en se fiant à son expérience de dix ans comme journaliste de faits-divers. Quand au crime dévoué à une cause, auparavant apanage des hommes, Nathalie Ménigon et Joëlle Aubron ont participé à des meurtres en bande organisée pour la compte de l’organisation terroriste Action Directe dans les années 80. « Maintenant la différence entre les meurtriers hommes ou femmes, elle est dans le chiffre bien sûr. Au fond, elle a toujours été dans le chiffre » , termine la criminologue.

Des femmes pas comme tout le monde…

Longtemps, on a pensé que, vu le faible nombre de femmes criminelles et encore plus de meurtrières, aucune généralité ne pouvait en être tirée. Mais dans les années 80, alors que le courant histoire des femmes se développe, les études se multiplient. Alors d’où viennent elles ? Les criminelles en général sont issues de milieux sociaux défavorisés, affirme Robert Cario, sociologue spécialisé de la question lors d’entretiens. Claire Sirrand, en charge de la chronique judicaire au Dauphiné Libéré confirme : « Il faut voir la population des Assises. Tous les profils présentés sont des vies cabossées dès la base. C’est tellement quart monde ! La délinquance est liée à la misère » . Elevées dans des familles nombreuses et instables, elles ont manqué d’affection dans leur enfance, remarque-t-il. Privées de savoir, elles ont quitté le système scolaire tôt. La mère de Véronique Courjault prenait peu de temps pour s’occuper d’elle lorsqu’elle était enfant, apprend-on dans le docu-fiction de France 3 « Parcours meurtrier d’une mère ordinaire : l’affaire Courjault ». Cécile Brossard a un QI de 80, là où la moyenne est de 98, révèle un expert psychiatre lors de son procès l’été 2009.

Criminelles « conformes »

Statue de la balance de la Justice

Et si il existait une catégorie de criminelles « conformes » ? C’est la thèse défendue par Coline Cardi, sociologue. Issues de milieux populaires, elles ont réussi à bien s’intégrer socialement : bonnes mères, épouses modèles, employées. Mais elles commettent une infraction grave comme un infanticide ou un crime passionnel. Et les voilà propulsées en prison pour une première incarcération. Si elles ne connaissent pas les règles du système judicaire, elles s’appliquent à être détenues modèles. Et répètent à la chercheuse, comme pour s’en convaincre : « je suis une femme normale ! » Avant de s’inventer des histoires moins honteuses. Pour les experts psychiatriques qui œuvrent dans les prisons, ces femmes se sentent « libres », ont des projets de réinsertion. Elles paraissent plus jeunes, délivrées de l’éducation des enfants et des tâches ménagères. Où sont passés les regrets ? Les femmes coupables de meurtres en ressentiraient moins, toujours selon l’expert psychiatrique Michèle Agrapart-Delmas, mais seraient aussi moins portées à récidiver. Il y a bien là une question de genre. « La violence, culturellement, socialement, est plus présente chez les hommes que chez les femmes » , tente d’expliquer un enquêteur de la police judiciaire de Grenoble. Des êtres humains moins portés à la violence, voilà l’image sociale que véhiculent aussi les deux représentantes des médias interviewées.